La démocratie au-delà de la citoyenneté : une séance de questions-réponses sur l'initiative du Parlement des exilés en France

Comment des personnes qui ont fui leur pays d'origine peuvent-elles participer à la démocratie là où elles ont trouvé refuge ? Dans de nombreux cas, le droit de vote est lié à un processus de naturalisation qui peut être incertain ou prendre de nombreuses années. Face à ce défi, une association indépendante en France s'est mobilisée en lançant en janvier 2025 un « Parlement des exilés » qui vise à améliorer la représentation politique des « exilés » dans le processus démocratique. L’association définit la notion d’« exilé » comme désignant toute personne ayant été contrainte de quitter son pays d’origine et résidant sur le territoire français depuis au moins un an. Cette définition inclut des individus relevant de diverses situations administratives liées au droit de séjour, notamment les personnes sans papiers, les demandeurs d’asile ou les bénéficiaires d’une protection internationale. Elle englobe également celles et ceux qui ne disposent pas du droit de vote en France et qui, de ce fait, sont privées de tout moyen d’expression électorale.
Indépendant de tout parti ou formation politique et composé de membres issus de diverses origines nationales, le Parlement des exilés constitue une initiative visant à instaurer un organe représentatif de la communauté des exilés dans toute sa diversité, totalement indépendante du Parlement français. Ce projet a pour objectif de donner une voix aux exilés et de favoriser l’ouverture d’un dialogue avec les institutions françaises, notamment les représentants élus, les autorités locales et les milieux universitaires, afin d’intégrer leurs préoccupations et leurs perspectives dans l’élaboration des politiques publiques ainsi que dans les débats politiques nationaux.
La première phase, consacrée au processus électoral, s’est récemment achevée et a conduit à l’élection de dix-sept députés, dont neuf femmes et huit hommes. La deuxième phase prévoit un programme de formation d’une durée d’un an, élaboré en collaboration avec des universités françaises et internationales. Enfin, la troisième phase correspond à l’exercice d’un mandat d’un an, au cours duquel les représentants animeront des groupes de travail thématiques chargés de formuler des propositions et des mesures concrètes visant à répondre aux principaux défis auxquels sont confrontées les personnes exilées, tels que l’accès à la justice et au logement. Le projet est financé par des fondations privées européennes et comprend une bourse pour les représentants sélectionnés, leur permettant de se consacrer à plein temps à leur formation et à leur travail.
Le rapport 2025 sur l'état de la démocratie dans le monde soulève la question de l'identité transnationale dans le contexte de la migration et considère l'appartenance comme un enjeu au cœur de la résilience démocratique. La France garantit, depuis plusieurs décennies, à ses citoyens résidant à l'étranger la possibilité de s'engager activement dans la politique nationale en leur accordant une représentation au sein du corps législatif et au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger. Grâce à ces mécanismes, le pays a permis à ses citoyens à l'étranger de continuer à exercer leur sentiment d'appartenance à la nation. De même, la création d'un sentiment d'appartenance pour les communautés exilées en France est au cœur du projet du Parlement des exilés. Le projet soutient une vision plus inclusive du suffrage en promouvant l'idée d'une représentation politique institutionnelle pour les non-citoyens. Pour comprendre comment l'initiative peut faire le lien entre les communautés d'exilés et la vie institutionnelle française, nous avons interrogé les cofondateurs de l'initiative Parlement des exilés, Dounya Hallaq et Rudi Osman.
Rudi Osman est un militant franco-syrien engagé pour les droits des personnes exilées. Depuis son arrivée en France en 2014, il a fondé plusieurs associations de soutien à l'accès à l'enseignement supérieur et à l'inclusion citoyenne des personnes en exil. Lauréat de l'Obama Leader, il est reconnu pour son expertise en matière d'innovation sociale et d'égalité des chances.
Dounya Hallaq est une entrepreneuse sociale qui a fondé plusieurs organisations favorisant l'intégration des personnes exilées par le sport et la culture. Elle mène également des initiatives citoyennes et démocratiques tant au niveau local qu'européen.
Dounya et Rudi se sont entretenus avec Daniela Dominguez et Emily Bloom dans l'équipe d'évaluation de la démocratie d'International IDEA le 14 août 2025.
Pourquoi le Parlement des Exilés a-t-il été créé et quelle est sa mission ?
Rudi : Nous avons lancé l'idée du Parlement des exilés il y a trois ans, alors qu'un nouveau projet de loi sur la migration et l'asile en France venait d'être présenté. En tant qu'exilés, nous avons essayé de faire entendre notre voix sur ce sujet, mais nous avons eu le sentiment que les locaux nous percevaient comme des personnes qui peuvent leur apporter un point de vue spécifique, mais pas comme des acteurs politiques. Nous pourrions, par exemple, les aider à en apprendre davantage sur nos expériences et nos luttes dans ce pays, mais ils ne se sont jamais tournés vers nous pour apporter des idées politiques et des solutions potentielles aux problèmes actuels. Cette prise de conscience a conduit un groupe d'entre nous à décider que nous devions créer notre propre corps politique – une structure qui pourrait à la fois représenter les exilés et donner une légitimité à notre rôle de participants à la vie publique. Nous en avons conclu que le meilleur moyen d'y parvenir était de créer un parlement, afin que les exilés en France puissent élire leurs propres représentants.
Dounya : Nous voulions que les exilés soient reconnus non seulement comme des experts de la migration, mais aussi comme des voix bien informées dans de nombreux autres domaines. Les exilés peuvent parler d'économie, d'emploi, d'environnement, etc. De nombreux exilés étaient déjà des experts dans leur domaine avant de fuir leur pays, et apportent avec eux des connaissances et une expérience précieuses. Nous voulions également créer un espace où la migration est abordée différemment. En France, comme dans une grande partie de l'Europe, nous assistons à une montée de la xénophobie. Nous sommes trop souvent représentés de manière étroite et limitative. Nous pensons qu'il est crucial de construire un autre récit, qui montre que les migrants sont bien plus que ce qu'ils sont habituellement dépeints dans les médias.
Pourquoi la France et d'autres pays devraient-ils inclure la voix des non-citoyens dans leurs processus démocratiques, y compris la représentation dans les institutions publiques ?
Rudi : En tant que réfugié vivant en France, l'une des choses les plus importantes pour moi est de construire un sentiment d'appartenance et de sentir que je peux devenir un futur citoyen. Pour cette raison, je pense qu'il est essentiel de commencer par la participation civile (et politique). Je contribue déjà socialement et économiquement, mais je n'ai toujours pas de droits politiques. C'est pourquoi je pense que la France, et tous les pays démocratiques, devraient offrir aux exilés des possibilités de participation et de représentation. De telles opportunités sont un premier pas vers la compréhension de la démocratie et l'apprentissage de la façon de faire partie de la société. Ils ouvrent la porte à l'expérience de ce que signifie vraiment la pleine citoyenneté.
La charte de l'organisation fait référence aux valeurs de la République française (par exemple, la liberté, l'égalité et la laïcité). Pourquoi ces valeurs ont-elles été choisies et pourquoi sont-elles importantes pour une initiative menée par des exilés ?
Dounya : L'intention est d'éviter cette idée que l'on entend souvent dans les médias et ailleurs que les migrants viennent détruire notre république, nos valeurs, nos libertés, etc. D'après notre expérience, c'est généralement le contraire. Les personnes qui ont fui leur pays le font souvent par engagement politique et par combat pour la liberté. Cela ne correspond pas à l'idée qu'ils viennent en France pour lutter contre la liberté française ou les valeurs républicaines. Pour nous, il est important d'affirmer très clairement et officiellement que nous travaillons dans le même cadre que les citoyens français.
Rudi : Pour ajouter à cela, nous constatons que ces valeurs sont universelles. En tant qu'exilés politiques, nous nous sommes battus et continuons de nous battre pour ces valeurs et principes dans nos pays. En mettant en avant ces valeurs, nous disons que nous faisons partie de la société française, même si nous ne sommes pas des citoyens français.
Quels défis avez-vous rencontrés jusqu'à présent, et quelles réponses avez-vous reçues lors de votre tournée en France ?
Dounya : Certaines organisations plus traditionnelles ont vu le projet comme une menace, peut-être parce que nous donnons une voix directement aux personnes exilées et qu'elles n'étaient pas vraiment habituées à travailler de cette manière.
Rudi : Notre sentiment, c'est qu'en France et dans toute l'Europe, nous avons l'habitude d'offrir aux exilés une place comme simple décoration lors de conférences ou de discours publics. Les communautés d'exilés étaient, en revanche, très ouvertes et collaboratives. Nous avons reçu 234 candidatures pour se présenter aux élections. Les critères d'éligibilité étaient les suivants : être exilé (et donc privé du droit du vote), avoir entre 18 et 65 ans, avoir vécu en France pendant au moins un an avec l'intention d'y rester, être titulaire d'un diplôme de fin d'études secondaires ou équivalent, parler français au niveau B2 et avoir une expérience de l'engagement citoyen en France ou dans son pays d'origine. Sur la base de ces critères, 60 candidats ont été présélectionnés pour un entretien devant un jury indépendant composé d'universitaires, de personnalités politiques et d'exilés, qui ont évalué leurs compétences en matière de prise de parole en public et le potentiel des projets qu'ils prévoyaient de développer en France. À l'issue du processus, 29 personnes ont été sélectionnées pour se porter candidates. Sur une période de six jours, 5 400 électeurs de plus de 100 nationalités ont participé à notre élection. Pour nous, c’était le signe clair de l’envie des personnes de participer. Le vote s'est déroulé en ligne. Nous avons approché les municipalités pour nous aider à organiser un vote en personne, mais elles ont refusé. C'était surprenant car ce sont des gens qui prétendent aider les exilés, donner une place à leur voix, et pourtant certains d'entre eux ont refusé d'aider.
L'une des idées que je pense si difficile à accepter pour les communautés locales est qu'il y a une possibilité de leadership à partir des exilés. Pourtant, il est très important d'avoir ces leaders parce qu'ils peuvent faire le lien entre les communautés exilées et la vie institutionnelle. Pourquoi refusent-ils ? C'est l'une des questions qui nécessite des recherches plus approfondies : comment les communautés locales peuvent soutenir une participation, une représentation et un leadership réels des exilés dans les pays européens.
Cette interview a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté. Le texte a été traduit à l'aide d'un outil d'IA et avec la révision ultérieure de Laura Servant d'International IDEA.
Les opinions exprimées dans ce commentaire sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position institutionnelle d'International IDEA, de son Conseil consultatif ou de son Conseil des États membres.
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